Comme on dit, jamais deux sans trois ~

Il enfila ses chaussures, attrapa son sac. Il faisait encore beau, dans le début de ce mois d’octobre. Il faisait moins chaud, ces temps-ci. L’été s’éloignait à grand pas, avec les souvenirs de la mer et du soleil. Cela ne dérangeait pas Mitsuaki. Il aimait l’automne, non parce-qu’il portait son nom, mais pour les couleurs que prenaient les arbres et les forêts. Le jeune homme vérifia qu’il n’avait rien oublier. Depuis l’entrée, il lança en direction de la cuisine :

- J’y vais !

Il vit apparaître sa mère dans l’encadrement de la porte. Comme chaque matin, elle affichait un air surpris.

- Déjà ? Il est encore tôt tu sais. Tu veux que Kisetsu t’emmène ?

En entendant son nom, la femme de ménage parut derrière elle, un balai en mains. Avant qu’elle n’ait dit un mot, Mitsuaki sourit et répondit :

- Ca va aller. Merci.

Il adressa un signe de la main aux deux femmes et claqua la porte d’entrée. Ses amis l’attendaient déjà devant chez lui. Ils formaient un petit groupe de cinq, et vivaient tous dans le même quartier bourgeois situé dans la banlieue de Tokyo. Ensemble, il se dirigèrent vers la station de métro la plus proche. Ils riaient, se racontaient leurs dernières histoires, parlaient des actualités, un peu. C’était une journée tout à fait banale, rien de plus, rien de moins. La vie de Mitsuaki était simple, bien que, parfois, il la trouvait quelque peu ennuyeuse. Les jours défilaient doucement. Un peu trop doucement. Le seul bouleversement qui lui était arrivé, c’était un déménagement, lorsqu'il était plus jeune. Ils n’étaient jamais retourné là-bas, à Kyoto, sa ville natale et le jeune homme ne se souvenait presque plus comment était sa vie antérieur. Sa maison, ses amis, son école… En dix ans, il avait réussi à oublier son passé, comme si tout cela avait été un mauvaise chose, une erreur. A vrai dire, ça l’importait peu. Il avait recommencer de zéro.

- Hé, Mitsu !

Les autres marchaient devant. Seul Hiroshi s’était arrêté. Perdu dans ses pensées, Mitsuaki ne s’était pas rendu compte qu’il avait ralenti le pas. Il sourit et rattrapa son ami.

- Désolé, je pensais à autre chose.

Hiroshi haussa les épaules et ils continuèrent à avancer en silence. Le trajet en métro fut bref, bien qu’étouffant, comme à chaque heure de pointe. Ils arrivèrent à l’Université avec un peu d’avance, et donc s’assirent sur un banc en attendant le début des cours, tout en continuant de discuter. Mitsu lisait un livre, tout en participant activement au débat qui avait commencé entre le groupe d’amis. Tout termina en un fou rire général. Comme d’habitude. Alors qu’ils se dirigeaient vers la vaste salle où allait se déroulé leur cours, l’adolescent de figea. Hiroshi se retourna vivement.

- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Mon livre. J’ai dû l’oublier dehors.

Sur ce, il fit demi-tour en courant. Mais l’ouvrage n’était pas sur le banc. Il fouilla dans son sac. Rien. Mitsuaki poussa un juron en se frottant la tête.

- Excusez-moi… C’est à vous ?

L’intéressé fit volte-face. Face à lui se trouvait une jeune femme de son âge. Elle avait de jolis yeux vert, de longs cheveux blonds. Etrangement, son visage lui était familier mais pourtant il était sûr de ne l’avoir jamais vu ici. Elle lui tendait son livre. Il le prit et la remercia en bredouillant quelques mots. Elle sourit.

- On devrait y aller. Sinon, on va être en retard.

Mitsu hocha la tête. Jusqu’à la fin de la journée, il se fit interpeller par Hiroshi car il ne disait rien. Jusqu’à la fin de la journée, il pensa à autre chose. Jusqu’à la fin de la journée, cette fille hanta son esprit.
Le lendemain, alors qu’Hiroshi lui racontait ses dernières prouesses aux jeux vidéos, il la vit. Elle était seul, assise sur le banc de la veille. Sans réfléchir, Mitsuaki marcha en sa direction. Il ignora les protestations de son meilleur ami. Les mains dans les poches, il se planta devant elle et sourit.

- Salut.

Elle leva la tête, parut légèrement surprise. Il s’assit à ses côtés.

- Tu es nouvelle ici ? Je ne t’avais jamais vu dans les parages avant.
- Oui. Cette école a une très bonne réputation et ça fait un moment que je rêve d’y entrer. Et j’ai enfin reçu une bourse pour pouvoir étudier ici.
- Je vois.

Silence. Une question lui brûlait les lèvres. Non, ça n’avait aucun sens, c’était ridicule. Mitsuaki vit ses mains commencer à trembler. Lui aussi était ridicule. Il s’aperçut que la jeune fille le fixait de ses yeux d’un vert qu’il connaissait.

- Avant… Murmura-t-il. On ne se serait pas déjà rencontré quelques part ? Il y a longtemps.

Elle sursauta et baissa la tête.

- Qui c’est ? Le monde est petit.

Jusqu’au début des cours, aucuns des deux ne dirent un mot. A la pause déjeuner, Mitsu eu le droit à un sermon de la part d’Hiroshi pour être parti sans prévenir. Il se contenta d’hausser les épaules et expliqua qu’il voulait juste remercier le jeune femme pour lui avoir rendu service la veille.
Le soir, dans son lit, il pensa à tout ça. Il pensa à ce sentiment étrange, caché, enfoui dans son cœur qui s’était éveillé lorsqu’il avait croisé ces yeux verts. Après d’interminables minutes, il finit par trouver le sommeil.


- Je vais déménager.
- Quoi ?

La question avait fusé. La fillette se figea et la balançoire commença à ralentir. Les deux enfants se fixèrent quelques instants. Le petite fille posa ses mains sur ses genoux et commença à balancer ses jambes d’avant en arrière, l’air gêné. Elle n’avait même pas dix ans. L’autre n’était pas plus vieux.

- Pourquoi ? Osa-t-elle murmurer enfin.
- Papa va travailler à Tokyo. Alors, Maman et moi, on part avec lui.
- Et tu pars quand ?
- Dans deux semaines.

Ces dernières passèrent à une vitesse folle. Juste le temps de manger une glace, de faire la course dans un champs de fleur et compter quelques étoiles du ciel d’été.


- Tiens !
- C’est ta barrette préférée. Qu’est-ce que je pourrais en faire ?
- C’est juste pour que tu ne m’oublies pas… Comme ça tu me la rendras quand on se reverra.



Le garçon s’en allait le lendemain. Les deux amis s’étaient donnés rendez-vous au parc. Il attendait sur un banc. La fillette était en retard. Enfin, il la vit de l’autre côté de la rue. Il se leva et lui fit un signe de la main. Elle sourit, se précipita dans sa direction. Elle n’avait pas vu la voiture qui arrivait. La chaleur du soleil couchant de cette fin d’été se transforma en glace et ténèbres.

- HARUNA !!


Mitsuaki se réveilla en sursaut. Il était en sueur. Un cauchemar. Ce n’était qu’un cauchemar. Pourtant, il entendait encore une voix lointaine dans son esprit :


- Son état est stable, elle s’en sortira sans trop de séquelles.


Le jeune homme ne put se rendormir. Il passa le reste de la nuit à la fenêtre, sans penser à rien. Le soleil qui se levait fut comme un soulagement. Il commença à fouiller dans toute sa chambre. Au bout d’une demi-heure, il trouva ce qu’il cherchait. Une jolie barrette, avec une fleur dessus. Il sourit.
Cette fois, en arrivant à l’Université, Mitsu fit signe à Hiroshi qu’il s’éclipsait. Ne cherchant pas à comprendre, son ami hocha simplement la tête. Il retrouva la jeune fille toujours sur le même banc. Peut-être l’attendait-elle.

- Excuse-moi… C’est à toi ?

Il tendit la barrette, elle sourit.

- J’ai cru un moment que tu ne me reconnaîtrais jamais.
- Je suis désolé. Haruna… Je suis heureux que tu ailles bien.
- Qu’est-ce que tu crois ? On s’était bien dit qu’on se reverrait, non ?

Mitsuaki sourit à son tour. A ce moment-là, il put de nouveau croire à de nouvelles glaces, de nouvelles courses dans les champs de fleurs et de nouvelles nuits à observer les étoiles sous le ciel d’été.