Je vous présente, le Fondateur.

N’oubli jamais la nature de ton existence, chaton. Tu es né un matin comme un autre, et pourtant, tu émanes quelque chose de divin. Ton silence pèse à ta mère, mais ton géniteur, spectateur de ton arrivée macabre en ce monde, semble sourire. Tu te demandes pourquoi les gens te regardent avec tant de noblesse, toi qui cherche seulement de la tendresse. Des chats, tu en es l’élu, dit-on. Pourtant, tu n’as rien de plus que les autres. Tu es noir, tu sembles beau, mais c’est tout. Rien en toi de rend supérieur excepté ton sang noble. Ta famille est la fondatrice, parait-il. Mais tout cela est loin de te fasciner. Tu préfères de loin le bon lait maternel sortant des tétines de ta procréatrice. Quelle bassesse.
Mais voilà que tu n’es pas le seul. A coté de toi se trouve une sœur. Elle est aussi belle que ta mère et tu le sais. Et pourtant, tu as mal au cœur en la voyant. La foule, muette, l’observe avec pitié. Tu sais déjà que cette jolie femelle n’est pas comme toi. Bizarrement, tu t’en fiches. La supériorité dont tu fais preuve montre bien ta royauté.
N’oublie pas, chaton, tu es l’élu.

Le temps passe. On t’apprend à marcher et à parler dans un registre soutenu. Déjà, tu es un poète. Les mots sont tes uniques jouets. Lorsque tu as deux lunes, une foule se place devant toi. Une tourbe triste et apeurée. Ton géniteur monte seul l’estrade et tu remarques à quel point il est royal. Son pelage de jais est aussi profond que les ténèbres dans lesquels tu as grandi. Cela te fais sourire de voir ces visages timorés, surtout celui de ta sœur. Tu sais ce qu’il va se passer, et l’adrénaline parcourt tes veines. Une âme bienveillante serait affligée, mais toi, à ce moment, tu te sens démoniaque, surtout quand ton père parle d’un ton princier sur l’estrade.

«  Je suis le père Fondateur. Il y a des siècles, mon ancêtre fut celui qui fit cinq chatons. Ces cinq enfants fondèrent chacun un clan, celui du Ciel, du Tonnerre, de l’Ombre, du Vent et de la Rivière. Je descends donc de la race noble et pure. Je suis le Maître de la forêt et le père de tous ces ignares ne connaissant pas mon existence, croyant qu’ils descendent de vulgaires fauves ! Je suis le Dieu de cette terre, et vous n’êtes que des pantins qui vivent car je l’autorise. Mais vous êtes nettement plus que ces chats de clans. Vous êtes, pour la plupart, de ma famille, et donc nobles. Vous attendiez ce jour en tremblant. Depuis des siècles, cette tradition vous terrorise, vous, Clan du Mistral. Vous savez que seul un Fondateur peut vivre sur cette terre en même temps, et que voilà ? Mon fils, l’élu, est né. Il est comme moi et comme les anciens Fondateurs. Son pelage est noir, il manie les mots, inspire le respect malgré son jeune âge, et possède une prunelle bleue, et l’autre rouge. Comme le veut la tradition, lorsque le Futur Fondateur a deux lunes, son père doit lui laisser la place et mourir avec le reste de sa famille. Nous rejoindrons le clan des Etoiles parmi les plus grands. Même les étoiles des clans ne nous valent pas. Et moi, Pharaon de ces terres, je deviendrais une divinité. Car je suis le Fondateur, comme mon fils, comme mon père, et que tous les chats de clans possèdent mon sang et mes vertus, depuis des décennies…
Je suis le père Fondateur, le onzième Cri du Mistral. Demain, vous serez des étoiles et moi la lune. Mon fils fondera le douzième clan du Mistral, composé uniquement de sangs purs : fils d’étoiles comme vous, ou ayant dans leurs veines sont sang divin. Il chassera les félins errants et ces vulgaires domestiques. Et nous, futurs Gardiens du Clan des Etoiles, nous ferrons en sorte que les gens tremblent en face de lui. Toujours. Parce que des chats, il en est le père, comme moi. Il est l’élue des étoiles, le Manipulateur de leur Destinée, l’incarnation de leur crainte.
N’ayez guère peur de la mort. Nous y allons ensemble avec joie. Que les plus courageux se tranchent la gorge avec leur griffe eux-mêmes. Que les mères tuent leurs enfants. LAISSEZ PLACE A LA DOUZIEME ERRE ! »

Et les chats, attendant ce moment avec fierté, se massacrent. Il n’y a ni larme, ni peur. Leurs cadavres émane désormais que de la noblesse. Tu les pousses tous ensuite dans un précipice. Tu te surprends à pleurer face à cette tradition loufoque. Tu fermes les yeux en voyant le corps de ta sœur, abattue avec respect.
Destin funèbre pour un chaton de deux lunes.
Tu ne comprends pas vraiment ce qu’il vient de se passer ni ce que tu dois faire.
Mais désormais tu es seul face au monde. Tu t’appelles Cri du Mistral, tu es le douzième fondateur. Tu t’efforces d’écouter le vent abatant tes larmes. Il est désormais le seul dont tu acceptes la présence.

.ma noblesse est à mes yeux illusoire, mais elle me sert .