♦. Asphyxie | Met ~ |

Shade voulait rester en vie, continuer d'entendre battre son coeur et sentir sa poitrine se soulever au rythme de ses inspirations. Or la vie ne voulait plus d'elle et la chatonne s'y était résignée. Alors elle marchait à grands pas vers son destin qui se résumait en un long tunnel froid et obscur. Elle connaissait peu la réputation des chats claniques, et elle espérait que tout ça se passerait sans souffrances. Toutefois, cette notion était bien abstraite. De son coeur, il n'en restait que quelques rares miettes, celle qui n'avaient pas été dévorées par cette flamme fantôme. C'est comme si elle avait emporté un bout de son âme, qu'elle ne pouvait plus être la même sans que la chatonne rousse soit à ses côtés.




La minette de jais accéléra encore le pas, traversant les territoires dit "libres" pour atteindre enfin les frontières de l'Ombre. Elle regarda encore une fois le ciel, assombris par les nombreux nuages gris qui s’amoncelaient en un épais manteau. L'air était étouffant; un orage se préparait. Elle espérait qu'il éclaterait tandis qu'elle serait encore consciente. Elle voulait voir les éclairs déchirer le ciel, elle voulait sentir encore une fois la caresse de la pluie sur son pelage et garder comme ultime souvenir l'effluve de l'humus et des sapins trempés. L'odeur âcre du Clan lui picota les narines; elle fronça le nez, son tout petit nez tout noir, comme tout le reste de son corps. Son coeur se mit à battre plus vite: si elle restait ainsi à découvert, on ne ferait qu'une bouchée d'elle. Elle serait maltraitée sans avoir pu se défendre ou s'expliquer. Ses côtes saillaient nettement sous son poil terne et arraché par endroits. Voilà plusieurs jours qu'elle n'avait plus mangé, complètement amorphe. En plus d'être affamée, la chatonne était déshydratée. Elle savait qu'en agissant ainsi, elle mourrait à petit feu. Mais sa souffrance physique n'avait pas d'égal à celle qui lui pilonner le cerveau. Pourquoi vivre si la personne qu'on aime le plus au monde nous a abandonné, probablement pour toujours? Shade s'était laissée dépérir depuis qu'elle connaissait enfin la véritable raison de la disparition d'Hickaru. Et encore maintenant, sa gorge faisait des noeuds. Sa mère, une simple appellation, parce que cette matrone ne c'était jamais préoccupée du destin de ses filles, ne lui était pas d'une grande aide. Elle la détestait elle aussi. A quoi bon se polluer l'esprit et s'agacer les nerfs... L'urgence de la situation agita ses muscles. Son odorat lui indiquait que quelqu'un approchait au loin. Elle considéra un buisson épineux à quelques ailes de faucon de là. Elle y couru et se jeta au milieu de la végétation, oubliant les griffes de la plante qui lui entaillaient généreusement la peau.




La noiraude ferma les yeux, enfonça ses pattes dans le sol et inspira profondément. Ses muscles se raidirent douloureusement, son dos s'arqua. Elle retint un cri de douleur mais c'était trop tard. Les spasmes l'envahirent, les épines la cisaillèrent. Un profond élancement s'échappa de sa poitrine, remonta le long de son échine et explosa dans sa tête. Les larmes débordèrent sous ses paupières fermées. Un sanglot lancinant déchira le silence de cette fin d'après-midi. Elle pleura, pleura jusqu'à l'épuisement. Les gouttes salées imbibaient son pelage, lui donnant un air encore plus minable qu'elle ne l'était quelques minutes avant. Elle se détestait ! Elle haïssait ce sentiment de manque, cette sensation d'être aussi faible! L'amour, ça lui donnait envie de vomir. Pourtant, il n'y avait plus de raison puisque l'origine de ces crises avait foutu le camp. Elle voulait la rejoindre, coûte que coûte, même si c'était son futur.




Elle avait assez donné. Pas d'amis, pas de soutien. Plus la force de lutter. Baisser les armes. Arrêter de se battre. Stopper le court de son existence. Tout sacrifier pour une personne. C'était une lâche. Elle était terrorisée, pitoyable, mamentablement cachée dans les broussailles mais elle avait pris sa décision, celle d'abandonner. Elle ne pouvait plus revenir en arrière. Aucun demi-tour de possible. Elle s'en remettait désormais à la clémence des étoiles et aux bons soins de guerriers compatissants à sa douleur.