La vie est courte. La mort ne dure, elle, qu'un instant

Le soleil commençait à disparaître derrière l'horizon quand Langue de Vipère se décida enfin. Elle sentait que c'était le moment. Se redressant faiblement, la chatte au pelage beige terne, autrefois doré et brillant, quitta silencieusement la tanière des anciens, dont elle était la seule occupante. La lumière du soleil l'éblouit, l'obligeant à plisser son unique œil, depuis qu'elle avait perdu l'autre pendant un combat, ce qui l'avait obligé à quitter les rangs des guerriers du Clan de la Rivière un peu plus tôt que prévue. Mais Langue de Vipère s'en fichait. De toute façon, elle n'était plus très jeune, alors qu'elle se retire des combats maintenant ou quelques lunes plus tard, cela ne faisait pas grande différence pour elle. Et puis, depuis que sa mère, Étoile de Satin, avait rejoint le Clan des Étoiles, chassant probablement avec Saveur d'Amande, la sœur ainée de Langue de Vipère, cette dernière avait quelque peu perdue la joie de vivre. A présent, ses journées se passaient monotonement. Elle était la seule ancienne du Clan; personne avec qui papoter. La visite des chatons ou apprentis en quête de contes et histoires étaient plutôt rare, alors l'ancienne passait le plus clair de son temps à dormir et à réfléchir. Au moins, là, elle avait tout son temps pour penser. Mais après des lunes à vivre de cette façon, la vieille chatte n'en pouvait tout simplement plus.

Langue de Vipère regarda furtivement autour d'elle. Les mentors n'étaient pas encore rentrés de l'entrainement avec leurs apprentis, et la patrouille du soir venait de partir. Il ne restait plus que les reines et les petits, ainsi que quelques guerriers rentrant tout juste de la chasse. C'était le bon moment pour sortir.

Rapidement, la chatte beige se glissa difficilement dans l'ouverture, les membres douloureux et une grimace sur le visage, et partit sans but précis, tout d'abord. Puis, plus elle s'enfonçait, plus l'idée de l'endroit où elle pourrait se rendre se précisa dans son esprit, et elle finit par cheminer d'un pas aussi déterminé que son âge lui permettait. Elle finit par y arriver: les Berges Paisibles.

Ce lieu pouvait sembler paradoxal par rapport à ses intentions. C'était un petit coin de paradis, où souvent les amoureux se rendaient pour y passer du temps en tête à tête. Mais elle, ce n'était pas pour la même raison.

D'un côté, elle se sentait triste. Mais d'un autre, elle se faisait une raison. Elle n'y pouvait rien, c'était décidé. Le Clan des Étoiles l'avait décidé. C'était comme ça, un point c'est tout. Pas de discussion, ni d'alternative.

Elle ne se trompait pas. Elle avait beau avoir perdu un œil, son don de voyance n'avait pas disparu. Elle savait ce qu'elle avait vu. Elle ne s'était jamais trompée auparavant. Elle avait vu dans les yeux d’Ombre du Lynx, son frère. Et elle était certaine que c'était la vérité, ce qui allait se passer.

Respirant à fond, Langue de Vipère marcha vers le bord de l'eau, et pencha la tête au dessus. L'eau lui revoyait l'image d'une chatte un peu décharnée, avec un œil d'un vert splendide d'un côté, et un trou sombre de l'autre. Cette vision lui fit baisser les oreilles de tristesse. Elle se redressa, et s'allongea sur la berge, ses pattes avant trempant dans l'eau. Elle posa la tête sur le sol en soupirant de soulagement, son unique œil fixé sur la Toison Argentée maintenant bien visible. Il lui sembla alors que deux silhouettes floues descendaient vers elle, lentement. Elle plissa son œil. En s'approchant, la vision se précisa, et son cœur se gonfla de joie. Les deux formes lumineuses, deux chattes, se posèrent sur la surface de l'eau, et marchèrent vers elle. Elle reconnut la première chatte, une siamoise, sa mère Étoile de Satin, et derrière elle venait Saveur d'Amande. Elles souriaient.

Langue de Vipère se leva sans s'en rendre compte, et, se sentant légère comme l'air, elle bondit vers ces deux êtres aimés qui l'invitaient à les suivre avec une expression de joie mêlée de tristesse. Mais elle ne s'en soucia pas, et les suivies, tandis qu'elles la conduisaient vers la voûte céleste, ne laissant derrières elles qu'une simple trainée de poussière brillante et argentée.

Le lendemain, elle était morte.

Sa vision, c'était elle-même aux côtés de sa mère et de sa grande sœur. Elle savait ce que cela signifiait. Elle ne s'était pas trompé.

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