Tiens, tiens... {Blasph'}

Nuance Claire se perdit dans ses songes. Elle devenait totalement phobique. La tourbe prenait des allures de noctambules dépressifs. Pourtant, cette vulgaire foule n’était que ces confrères combattants. Jadis, elle était aussi pugnace qu’eux, si ce n’est plus. Si une chose n’avait jamais changé chez la femelle, c’était sa loyauté hors pair. Bien que de clans mêlées, la jeunette avait toujours respecté le clan et les siens. Peu douée, elle avait tout de même apprit les rudiments de la pêche avec grâce. Jamais Nuance Claire avait fréquenté d’autres chats de clans adverses plus qu’il ne le fallait. Son compagnon était du clan de la Rivière. Âme Dérangée … Son Roméo lui manquait horriblement. Dire qu’il était partit peu après leurs aveux. Cette perspective la déchira psychologiquement. Les enfants qu’elle portait n’était pas les siens, mais celui d’un crétin. Nuage Équivoque. Aujourd’hui Plume Équivoque. La chatte au pelage lilial souhaitait que sa marmaille n’aient aucun lien avec leur procréateur, mais pas qu’ils soient bâtards. Mais risquait-il de lui prendre ses enfants ? Non ! Pas question ! Ils seront élevés à l’idée que leur père de cœur soit Âme Dérangée. C’était lui qu’elle aimait. Peu importe les liens de sang, les erreurs de jadis, elle voulait que ce soit lui qui s’occupe de leurs enfants.
Âme Dérangée, ou que tu sois, quoi qu’il arrive aujourd’hui et le sang de leur père, protège nos enfants. Ils appartiennent au clan de la Rivière. Si tu savais comment je t’aime …
Elle pria de toute son âme pour que Cœur de Cristal lui fasse passer ce message. Elle imaginait le rouquin, évasé dans un océan de végétaux, à des kilomètres d’ici. La reine savait qu’il l’aimait avant. Mais cela ne devait plus être d’actualité. Il y avait de forte chance qu’il ait trouvé une demoiselle fallacieuse, usant d’un charme cabalistique pour faire couler son cœur dans les abysses de ses yeux, comme elle avait fait elle. Il était normal que le clan des Etoiles la fasse souffrir amoureusement, après tout les cœurs qu’elle a brisé à cause de sa beauté séraphique. La jeunette n’était qu’une misérable, une cosette en chat. La providence allait faire d’elle une épave. Tout cela à cause d’un coup foireux qu’il n’aurait jamais dût avoir lieu.
La demoiselle était couchée dans la pouponnière. Elle surveillait les chatons dont les parents étaient absents un petit moment. La profession de reine lui allait très mal. Imaginez vous une chatte angélique, au pelage plus pur que la ouate, et plus doux que les nuages. Rajoutez-y des traits fins, que même le plus érudit des peintres ne pourrait parfaire. Par-dessus le tout, un petit nez et des oreilles rosées. Et pour finir, deux perles de cobalts incrustée dans ce chef d’œuvre. Des tâches circulaires d’azurs, mêlant abysse et cieux, amenant le tout dans un nirvana de beauté. Tout cela est tristement couvert d’une moue agacée, d’un regard courroucé, et d’une voix semblable à un carillon qui devait malheureusement geindre des «  Petit Érable revient ! Patte d’Herbe, arrête d’embêter ta sœur ! ». Cela gâchait sa grâce habituelle, l’apothéose de ses mouvements. Cette optique fit s’hausser les commissures de ses lèvres, et après s’être humecté les babines avec un air de garce, elle quitta le camps. Après tout, ce n’était pas sa progéniture, et Mademoiselle Parfaite avait quelque chose de très important à faire. Il fallait qu’elle annonce à Monsieur Pathétique que les gosses avait son sang, et rien de plus.

Nuance Claire se déplaça avec mutisme, elle ne savait ou se diriger. Elle espérait que son oncle la guide vers lui. Ou au moins que ses amis défunts lui montrent la route. La chatte avait besoin d’une boussole, trop timorée pour se diriger de ses propres pattes vers la fatalité. Et pourtant, le destin lui amena sa mort sur un plateau d’argent. Il lui suffit de se diriger vers les terres neutres, pour voir au loin un éclat roux se diriger vers elle. Il arriva, de sa démarche chaloupée, l’affrontant d’un regard farouche. Puis d’une voix fallacieuse, il souffla :

«  - Tiens, tiens, ça fait longtemps pas vrai ?
- Garde ta salive, crétin. Tu sais très bien pourquoi je suis venue. J’suis enceinte de toi d’un moi et demi, mais t’imagine rien, tu n’auras aucun droit sur les enfants. Aucun. »

Après ses paroles cinglantes, elle comprit qu’elle avait rendu le procréateur de ses gosses fort courroucés. Nuance Claire ne vit rien venir. Plume Équivoque lui fit un fort coup de griffe. Un filet d’hémoglobine gicla de son flanc. Il commença à la battre sérieusement. La femelle aurait bien aimé se défendre, mais sa condition physique lui en empêchait. Lorsque le rouquin plaça un coup dans le ventre, elle sentit venir ses contractions. Son regard timoré n’y changea rien. Le lieutenant du Tonnerre continua à frapper. Une flaque de sang gisait au sol. Même les pattes du rouquin pataugeaient dedans. La jeunette laissa échapper un cri de soumission. Son pelage de ouate était maculé d’hémoglobine. Ses prunelles demandaient au mâle un secours potentiel. Mais elle n’eut rien. Rien du tout.

Une spasme l’anima soudainement. La féline poussa du plus fort qu’elle pouvait. La douleur dépassait fortement les normes. C’était impossible que cela se passe tel normalement. Elle ne tiendrait pas … Si ! Il le fallait pour sa marmaille ! Plissant son magnifique regard azuré, elle poussa encore et encore. Elle mit bas d’un premier chaton. Il était brun rayé de noir, tout petit. Garde bien la troupe, mon chéri, pensa-t-elle en le regardant, ils auront besoin de toi. Elle n’était pas en mesure de lui trouver un patronyme. La fatigue la gagnait, et il valait mieux qu’elle garantissent la survie des autres avant de palabrer. Elle poussa encore, gémissant de douleur. Une autre boule de poils sortit. Elle était noire et trapue. Rien qu’à son expression faciale, Nuance Claire comprit qu’elle avait à faire à un coquin. La jeunette poussa encore. Cela dura un peu plus longtemps. Lorsque le troisième chaton sortit, elle vit une boule blanche qui semblait faible. Elle pria pour qu’il s’en sorte. Il était si beau … Il ne fallait pas que la demoiselle se laisse malmener. Une contraction, qu’elle pensait ultime, l’anima. Le dernier était né. C’était un mâle au pelage gris fumé. Elle n’avait eu que des garçons. La génitrice les regarda avec tout l’amour du monde, décochant un sourire faible. Plume Équivoque était à coté, impassible. Elle lui lança un regard haineux, quand lui vint une contraction. La mise bas n’était pas terminée … Mais jamais la reine ne supporterait une dernière fois cette atroce douleur. Il fallait qu’elle offre la vie au dernier. Elle laissa échapper un gémissement, un, saisissant toutes ses forces. Le dernier était né. Ou plutôt la dernière. Une petite au pelage noir. La clone de son frère défunt qu’elle aimait tant. Nuance Claire laissa échapper un soupir, un dernier relent de vie dans ses poumons. Elle était comblée. Elle avait les plus beaux enfants du monde.
Elle était désolée.

Vu de haut, on pouvait voir une lune d’hémoglobine, prenant toujours de l’ampleur. En son centre, une femelle défunte au pelage jadis lilial. Autours d’elle, des petites tâches serties de grenat. A coté, un mâle roux faisant preuve de stoïcisme. Ils baignaient tous dans le sang, et ce souvenir resterait sempiternel pour chacun d’eux, encrant leurs mémoires au fer.