Baptême du Clan du Vent

[Nuage Clair n'existe plus ^^]

Le silence régnait au sein de la plaine. Le sifflement du vent entre les hautes herbes emplissait l'air du crépuscule, le cri d'un oiseau de proie solitaire venait quelques fois troubler le mutisme des lieux ; hormis cela, rien ne venait déranger le calme taciturne des lieux. La plaine restait sans tâche, couverte de végétaux, agrémentée ça et là par un ou deux bosquet d'épines. Rien qui n'attire le regard. Une étendue plate, sans histoire, n'ayant rien de plus particuliers en soi que l'étrange construction qui barrait l'horizon à l'ouest de l'étendue herbeuse. Et pourtant, elle était spéciale. Elle abritait fidèlement une tripotée de chats maigres et musclés, aux coutumes singulières, du nom de Clan du Vent, y vivait. Une communauté féline soudée habitait entre ces 'murailles', une communauté fraternelle où chacun avait sa place. Cette communauté, je ne l'avais rejointe que récemment, il y a de ceci à peine trois quart de lunes. Je ne m'étais pas encore fait aux rituels étranges auxquels les guerriers s'adonnaient, ne m'étais habitué à voir un tel nombre de félins cohabitait ensemble. Pour moi, qui avait toujours vécu en solitaire ou sous la redoutable loi du Groupe, une telle amitié était impossible. Pourtant, en poursuivant mes journées ici, à installer des branchages, chasser, parler avec les rares chats qui osaient s'approcher de moi, je commençais à entre-apercevoir ce que pouvait être une vie tranquille, où l'on était pas constamment sur ses gardes. C'était nouveau, étrange et grisant. Je pouvais enfin dormir tranquillement, sans crainte de ne jamais me réveiller le lendemain. Je devais aussi apprendre à me fier aux autres, ce qui était loin d'être évident pour moi. Après trois longues années de servitude, j'avais tué Mausolée, mon maître et chef au sein du Groupe, avant de m'enfuir à travers champs, une horde de tueurs déchaînées à mes trousses. Ce n'était grâce qu'à ma formidable condition physique et à mon entraînement non moins exceptionnel que je m'en étais tiré. Je m'étais arrêté, haletant, près d'un rocher couvert de lichen. Et je me rappelle, là, que je prenais la décision de ne jamais regarder en arrière. Les hurlements de chasse du Groupe avait alors retentit derrière moi, et je m'étais enfui. Encore. Bien après que j'eusse semé mes poursuivants, je continuais de courir, fidèle à mes paroles, jusqu'à arriver près d'une large étendue plane couleur bleue, aux cris assourdissants et à la morsure glaciale. Ainsi avais-je trouvé l'océan. Je m'y étais installé, en symbiose avec le chant des vagues et l'hymne des courants, et avait là-bas vécu deux longues années de paix, de sérénité, néanmoins entrecoupées de méfiance et de tristesse. C'était là-bas que, mes yeux scrutant le fond abyssal de la mer, que je m'étais juré de ne plus jamais tuer de chats. Un an plus tard, le Clan du Vent arrivait, et, poussé par un désir de contact émotionnel, je les accompagnait dans leur périple, loin de mon domaine et de l'océan. J'avais fini par trouver ma place dans cet étrange rouage, bien que mes origines sanguinaires et mon passé sombre ne puisse me permettre de relâcher complètement ma garde. Maintenant encore, on continuait de chuchoter sur mon passage, de me bousculer, ce à quoi je ne prêtais plus attention. J'étais convaincu qu'un jour, l'on comprendrait ma nature différente. Et c'était en rencontrant un autre chat différent que j'avais brisé ma promesse. Un chat du nom de Nuage Crépusculaire. Je lui avait juré que je l'aiderais à accomplir sa tâche, quoi que cela m'en coûte. Pour l'instant, et j'en tirais un certain réconfort, je n'avais pas encore vraiment 'brisé' ma promesse : je n'avais encore tué personne. Mais je savais que le jour, irrémédiable, où je devrais ôter la vie à un de mes semblables approchait à grand pas. J'appréhendais ce jour, tout en me focalisant sur mon intégration ici. Cela me sortait ces doutes du crâne.
Aujourd'hui, cependant que je m'acharnai à combler un trou apparu dans la pouponnière, j'aperçus Plume de Zéphyr, notre Lieutenant, monter sur le grand rocher que mes compagnons nommaient 'Promontoire'. Intrigué, je levais les yeux de mon travail afin de dévisager le chat gris qui venait de prendre une profonde inspiration. Le cri résonna longuement entre les fortifications du camp, perçant avec violence le silence presque macabre qui régnait en ces lieux. Je me redressai, faisant craquer ainsi mes muscles puissants, et m'approchai avec circonspection du rocher. J'ignorai ce qui se passer. Tout ce que je pus reconnaître, c'était que l'excitation avait gagné la clairière, et que tout les chats présents semblaient surexcités. Tout le Clan était ainsi rassemblé. Nos corps étaient pressés les uns contre les autres. Je pouvais sentir l'odeur de terre qui émanait de l'apprenti collé contre moi, ainsi que la douce senteur maternelle d'un reine appuyée contre mon dos. Plume de Zéphyr nous toisait, immobile et plein de prestance du haut de cet imposant minéral. Il m'évoquait vaguement Nuage Crépusculaire, avec ses iris améthystes et son expression fière. Pourtant, il était beaucoup plus rachitique, plus maigre et moins imposant que l'apprenti tigré. Il avait vraiment la carrure d'un guerrier du Clan du Vent, alors que ma grande silhouette et ma large carcasse avait davantage de profil des solitaires vivant au fin fond de la ville et se battant tout les jours. Je devais avouer qu'avec toutes mes cicatrices, qui courraient tout le long de mon puissant corps, ainsi qu'avec mes yeux saphirs, je me distinguais vraiment parmi tout les autres. Encore une différence qu'il faudrait qu'ils acceptent. Je me renfrognai, et dardai sur le lieutenant un regard quelque peu irrité. Il ouvrit à nouveau la bouche, et ses paroles, amplifiées par le silence soudain, rebondirent entre nos corps tassés.

" Chat du Clan du Vent, le voyage a été dur, mais maintenant nous sommes installés sur nos nouvelles terres. Beaucoup d'apprentis ont fait leurs preuves et sont prêt à devenir guerrier. Et la plupart des chaton ont l'âge d'être nommés novice à leur tour ! "

Je levai les sourcils avec flegme. Quel importance cela avait pour nous ? C'était bien pour eux, mais bon, voilà quoi... Pourtant, en voyant les regards brillants d'enthousiasmes de mes compagnons, je rehaussai mon jugement : cela avait l'air important. Suffisamment pour que je reste ici. Je m'assis, repoussant sans ménagement les corps amassés autour de moi, tout en continuant de fixer le lieutenant de mes yeux si singuliers. Il inspira profondément, et psalmodia la liste suivante d'un ton solennel qui me fit sourire. Quel charisme !

"Nuage Libre, désormais tu te nommeras Liberté des Ombres. Tu es fort et surtout très rapide. Le clan des Étoiles sera fier de toi "
" Nuage Crépusculaire, tu es un apprenti hors pair d'une force incroyable. Tu mérite ton rang de guerrier de loin et désormais, ton nom sera Tigre du Crépuscule "
" Nuage Perdu, ta bravoure t'avantage dans beaucoup de domaines, désormais ton nom seras : Requiem Perdu "
" Nuage de Quartz, tu l'âge et l'intelligence d'être un guerrier, désormais ton nom Crocs de Quartz "
" Nuage de Velours, ta bonté et égale a ta force, tu te nommeras désormais Coeur de Velours "
" Nuage Enneigé, a partir d'aujourd'hui ton nom sera Museau Enneigé ! "

Énumérés avec soin, chaque apprenti venait monter sur le Promontoire et lécher l'épaule droite de leur lieutenant. Je trouvai cette coutume bizarroïde, sans raison d'être, mais mêlais néanmoins ma voix aux autres qui scandaient le nom des nouveaux guerriers. Je réprimai à grand peine un frisson : les cris me rappelaient désagréablement ceux qu'entonnaient le Groupe lors d'un combat à mort... Glacé, je détournai le regard ; je ne pouvais en entendre plus. Sans même aller féliciter Tigre du Crépuscule et Liberté des Ombres pour leur nomination, je m'écartai de la foule en toute hâte, bousculant invariablement les chats pressés contre moi, les dents serrés pour ne pas leur hurler d'arrêter. Comme à chaque fois qu'une émotion violence me prenait de court, ma rage s'éveilla, mon instinct s'éleva ; j'avais soudain envie de plonger dans cette foule hurlante, de tuer, de déchiqueter leurs corps chauds et de manger leurs coeurs... Je réprimai l'envie à grand peine, et inspirai profondément l'air pur de la stèle. Je m'éloignai encore un peu plus du groupe, et m'asseyais avec soulagement sur l'herbe fraîche de la clairière. J'écoutai de là les futures nominations, les griffes plantées dans le sol et les muscles raidis par une envie dévorante de meurtre. Je m'extorquai au calme ; un carnage n'apaiserait mes pulsions meurtrières qu'un bref instant. Et je savais qu'une fois que j'aurais commencé, je ne pourrais m'arrêter ; je deviendrais une bête assoiffée de sang, comme celle que j'étais autrefois dans le Groupe. Cette pensée me tira un gémissement, et je fermai les paupières.

" Patte Balafrée, ton nom sera désormais Nuage Balafré et ton mentor sera Vent d'Eclairs ! "
" Nuage de Litchis ! Ton mentor sera désormais Nuances du Crépuscule ! "
" Nuage de Tempêtes, ton mentor sera Coeur de Sucre "
" Petite Peur, Tu es arrivé dans ce clan grâce à un chat particulier. Je pense qu'il sera un bon mentor. Ton nom sera Nuage de Peur et ton mentor sera Tigre du Crépuscule ! "
" Petite Prophétie, a partir d'aujourd'hui ton nom sera Nuage de Prophétie et ton mentor sera Etang de Nénuphar ! "
" Patte d'Argent, désormais tu te nomeras Nuage d'Argent et ton mentor sera Patte d'Ambre "
" Nuage de Mousse, ton mentor sera Poudre de Vanille ! "
" Petit Démon, tu t'appelleras Nuage de Démon et ton mentor sera Coeur de Lunes "
" Patte perdue, tu te nommeras Nuage Perdu et ton mentor sera Plume Douce "

Malgré mon malaise, je remarquai que je ne faisais en aucun partie des mentors désignés. Je m'y attendais un peu, pour tout avouer ; mais ma déception rendit force à mes pulsions, et je manquai de bondir sur mes pattes pour déchiqueter le félin le plus proche. Je décidai donc de partir un peu plus loin, et m'enfonçai entre le tunnel de ronces qui permettait d'accéder à la steppe. J'avais en mon esprit l'idée de boire au ruisseau ; je savais que l'eau glacée me ferait du bien -du moins l'espérai-je- et je pensai que la certitude que cette eau finirait par arriver à l'océan me réconfortait. J'aurais, en quelque sorte, un contact avec mon élément. Un contact discret, impalpable, mais réel. Et je savais que rien mieux que l'océan ne pourrait me calmer. Rien que de penser au fracas des vagues contre les rochers ou le cris des mouettes m'apaisèrent quelques peu. Ragaillardis, je m'éloignai donc du Clan.