Même le plus beau des rêve possède sa part de cauchemar... [PV Ange Céleste]

Un étrange nuage de fumée, noir, ou bien violet -quelle importance- commence à m'entourer alors que j'ai à peine fait quelques pas dans la forêt. Forêt ? Quelle forêt ? Je ne la reconnaît pas. Ce ne sont pas les arbres qui entourent mon camp. Le Clan du Tonnerre ? Mais qu'est-ce que je fais là ? Qu'est-ce qui a bien pu m'amener sur un territoire ennemi ? Mes derniers souvenirs sont ceux de la Tanière des Apprentis où, quelques minutes plus tôt encore, je m'apprêtais à dormir... A dormir ?   

Je ronronne lorsqu'une petite femelle d'à peine trois lunes se dirige vers moi d'un pas fluide, traversant sans aucune peine le nuage violet sombre qui m'entoure désormais totalement. Elle ? Vais-je enfin pouvoir, après des lunes de prières silencieuses, pouvoir parler à celle qui partage le même sang que moi ? Lui demander pourquoi elle disparaît à chaque fois que je tente de lui adresser la parole ? Mais le son refuse de sortir de ma bouche. Derrière Petit Tournesol apparaît une vague de sang de plusieurs mètres de haut qui la recouvre avant de se diriger  vers moi à la vitesse d'un faucon qui plonge pour tuer sa proie. C'est exactement ça : les faucons se nourrissent de rongeurs, pour vivre ; cette vague sanglante se nourrit de notre chair.

J'ouvre les yeux avec horreur, persuadée de voir apparaître devant moi le Clan des Etoiles au complet, et pourquoi pas pire, même ? Mais c'est avec étonnement que je découvre un endroit qui m'est bien plus familier : la Tanière des Apprentis. Il fait encore à moitié nuit, mais elle reste éclairée de la légère lumière de l'aube. A voir mes compagnons, ils dorment encore quasiment tous : mais je sais que je ne parviendrais pas à trouver le sommeil. Je ne comprend pas pourquoi tous les rêves sur ma sœur qui me gagnent pendant le sommeil se transforment toujours en cauchemars qui hantent ma nuit. Ce ne sont pas des rêves du Clan des Etoiles : j'en suis certaine, désormais. Je pense sûrement trop à elle. Elle me manque. Plusieurs lunes ont passées, mais la douleur reste -hélas- la même.

Pour me changer les idées, je renonce à la douce chaleur de la Tanière et sort dehors. Le temps est plutôt beau, il ne fait pas bien froid, et peu de chats sont déjà debout. Et maintenant, que faire ? Je ne peux pas prendre d'initiative -comme aller chasser- comme un guerrier, car si ils s'aperçoivent de mon absence non prévenue, ce sera la privation de nourriture pendant au moins une semaine -si ce n'est plus-. Quant à rester là toute la journée à traîner, ça ne me semble pas être une bonne idée. Je pousse un léger soupire lorsque des pas résonnent derrière moi.

Je me retourne et découvre derrière moi un guerrier vétéran, qui me fixe d'un air étonné.  « Déjà debout, Nuage de Lune ? Tu es bien matinale. Puisque tu es là, autant que tu serves à quelque chose ; les réserves ont besoin d'être remplies, elles sont quasiment vides, pars donc en patrouille avec un des guerriers qui ne dort pas. » Son regard parcourt les quelques chats qui se déplacent dans le camp, et s'arrête sur l'un d'entre-eux.  « Ange Céleste n'a pas l'air particulièrement occupé : je vais lui dire de partir avec toi. »

Il me laisse donc plantée là et file prévenir l'intéressé. Sans vraiment m'en apercevoir, je saisis un saumon qui traîne parmi les rares restes et le grignote en réfléchissant à celui que je vais devoir supporter aujourd'hui. Pour tout dire, je n'ai pas vraiment à me plaindre : Ange Céleste n'a rien d'insupportable. C'est un guerrier puissant, calme, qui n'est pas du genre à bavarder -tant mieux pour moi, je ne cause pas des masses non plus-, et qui subit les moqueries de certains car, d'après ce que j'ai pu entendre, il fixe les étoiles tel un guérisseur en rêvant d'y voir sa mère. Un peu comme moi, piégée par le souvenir de ma sœur, qui hante contre son gré nombre de mes nuits. Quoi qu'il en soit, Ange Céleste n'a rien d'énervant, et comme ni l'un ni l'autre ne parle, on passera probablement la journée à pêcher. Pour tout dire, ça ne me dérange pas, loin de là : quand je pêche je suis tranquille : j'aime être tranquille : conclusion, j'aime pêcher. Cette journée n'allait finalement pas être si pourrie, qui sait. Terminant mes morceaux de poisson, je pris la direction de la sortie..

Le chemin jusqu'à la rivière n'est pas bien long, et il se fait dans le silence. Ange Céleste peut bien parler s'il le veut -encore faut-il trouver quelque chose à dire- mais il ne le fait pas, sans doute parce qu'il n'est guère plus bavard que moi. Je laissai donc mes yeux observer le paysage ; un vol d'oiseaux passa juste au-dessus de nos têtes, poussant des cris perçants, et un écureuil gambadait joyeusement de branches en branches, insouciant ; il ne risque pas grand chose, les chats de mon clan n'attrapent ce genre de bête qu'en cas de grande famine ou si les poissons quittent la rivière, ce qui n'est encore, de mémoire de chat, jamais arrivé. Mais si un chat du Clan du Tonnerre avait été là, il ce serait déjà emparé du rongeur depuis longtemps.

Nous atteignîmes finalement la rivière. Sans un mot, Ange Céleste commença à pêcher. Je fis de même, tout en l'observant d'un œil : ce n'est pas un chat bien méchant, au contraire ; mais il fait l'objet de nombreuses moqueries. Il n'était pas frêle, et sûrement bon nageur. Pour tout dire, je ne sais rien de lui, à part les quelques rumeurs qui circulent sur son compte dans les clans ennemis, ou même dans le notre. Il ne parut pas remarquer que je l'observais, et semblait plus intéressé par la pêche. Je me concentrai sur ma tâche et parviens à attraper deux saumons. Rien de bien incroyable, mais ça peut toujours servir. Je me dis quand même que, même si j'aimais bien pêcher, s'il ne se passait rien de plus intéressant que ça d'ici la fin de la journée, les heures suivantes allaient être bien longues. Enfin, je n'allais quand même pas aller sur le territoire d'un clan ennemi et demander s'ils ne pouvaient pas envoyer un de leurs guerriers près de la rivière histoire de nous occuper. En poussant un soupir résigné, je reposai mes yeux sur l'eau.

Après quelque temps de pêche intensive -et d'ennui ! - je déposai un énième poisson à terre et m'étirai les membres endoloris à force de rester sans bouger sur une pierre jusqu'à voir une ombre passer. Je pouvais bien faire une petite pause de quelques minutes, Ange Céleste n'allait probablement pas aller se plaindre auprès du chef que j'avais stoppé pendant une poignée de secondes la tâche qui m'était confiée depuis l'aube. Je levai les yeux vers le soleil pour tenter de repérer l'heure, et en conclu qu'il devait être dans les environs de midi. Cela faisait au moins quatre heures que nous étions perchés sur des pierres à pêcher.

Je m'apprêtai à me remettre au travail quand un léger bruit résonna dans mes oreilles, venant sans doute de l'autre côté de la rivière d'après ce que j'avais entendu. Je faillis prévenir Ange Céleste puis me ravisai ; si je me trompai et qu'il allait voir pour rien, ça n'allait pas lui faire plaisir. Je plongeai dans la rivière et rejoignis la berge d'en face histoire de vérifier par moi-même.