A Question of Time • Petit Sortilège.

La journée avait été longue, le temps maussade. A présent, la pluie noyait la forêt de ses gouttes glaciales. Le temps si parfait de la saison des Feuilles Vertes était régulièrement remplacé par celui, incertain, des Feuilles Mortes. Il était étrange de constater que, d’un jour à l’autre, le temps changeait radicalement. Ainsi la veille, il avait fait un temps radieux, une température exquise et un léger zéphyr balayait la forêt, juste ce qu’il fallait pour apprécier. Mais ce matin, lorsqu’elle s’était réveillée, Promesse d’Or avait vu la grisaille et avait eu du mal à distinguer l’heure qu’il était. Elle s’était levée tard, par rapport à ses habitudes où elle se levait toujours avec le soleil. Il devait être près de la mi- matinée lorsqu’elle avait ouvert les yeux.

Ce temps la rendait patraque, et elle avait erré un moment sans but dans la forêt, puis son ventre s’était mis à se manifester, alors elle avait chassé ce qu’elle avait pu : un écureuil imprudent et un peu maigrichon. En effet, les proies étaient rares lorsqu’il faisait un temps orageux, et il était d’autant plus difficile pour les chats de camoufler leur présence. Après cela, Promesse d’Or avait un peu vagabondé, encore et toujours, à la recherche éventuelle de son ancien amant ou de son père.

En effet, ces idées-là ne l’avaient jamais quittées, bien que plus le temps passait et moins elle avait de chance de les retrouver. Mais, parfois, lorsqu’elle trainait dans les bois, l’image d’Écho Mémorial lui revenait en tête et elle se donnait pour objectif de le retrouver, ou ne serait-ce que trouver une trace de lui, quelque part. C’était encore plus compliqué pour son père, qu’elle n’avait jamais rencontré. Sa mère et lui s’étaient perdus de vue avant sa naissance, pendant le voyage vers les Nouvelles Terres, alors que Patte Dorée était enceinte de la petite Patte d’Or. Alors elle se focalisait sur son ancien amant et cherchait, inlassablement. Il lui avait semblé sentir quelque chose, non loin du Camp du Tonnerre. Elle savait qu’elle était sur des terres qui lui étaient normalement interdites, mais peu lui importait. L’odeur était étrangement semblable à celle dont elle gardait le souvenir et elle avait bien l’intention de découvrir à qui elle appartenait.

Et à présent elle était là, au beau milieu de ce qu’on appelait la Mer Originelle, et la pluie tombait, tombait, effaçant peu à peu toute trace de l’odeur qu’elle suivait depuis des heures. Trempée, dépitée et fatiguée, la femelle au pelage d’or s’arrêta au beau milieu de la clairière et prit une profonde inspiration. L’odeur du Clan du Tonnerre était certes présente, mais aucune odeur spécifique ne sortait du lot. Mais, alors qu’elle s’apprêtait à rebrousser chemin, l’odeur lui revint de plein fouet dans les narines : c’était une odeur douce, délicate, une odeur d’enfance et c’était sans doute pour cela aussi qu’elle lui rappelait Écho Mémorial, qu’elle avait connu lorsqu’ils étaient encore des chatons.

Elle pivota lentement sur elle-même et, marquant un temps d’hésitation en ne voyant pas le chat en question à sa hauteur, elle baissa les yeux et vit enfin celui qu’elle pourchassait : un chaton tigré aux grands yeux ambrés la fixait avec un regard plein de défi.

Le petit la fixait. Son regard ne trahissait aucune émotion, ou presque. Un fond de défi y persistait, bien que son intention fût clairement de montrer son désintérêt le plus profond. Ses yeux avaient l’air de dire « Eh bien, qu’attends tu, mécréante ? » et cela la déstabilisait un peu. Il lui rappelait son ancien ami et en même temps il paraissait si différent. Moins de douceur, on sentait une certaine aigreur chez lui, et cela intriguait la femelle dorée. Son odeur, bien que majoritairement du Tonnerre, portait également les effluves du Clan du Vent et cela avait probablement influencé Promesse d’Or dans sa traque.

Elle voulait engager la conversation mais ne trouvait aucun mot correct pour le faire. Alors elle restait là à fixer ce chaton, comme si la solution allait arriver par magie. Comme si les yeux du petit allaient lui montrer la voie pour entamer une discussion digne de ce nom. Après tout, la femelle n’avait pas côtoyé de chatons depuis des lustres. Elle-même n’avait jamais eu d’enfants et elle ne savait plus vraiment comment s’y prendre avec eux… Alors qu’elle se faisait cette réflexion, l’évidence la frappa comme un coup de poing en plein estomac. Elle n’avait jamais eu d’enfants. Mais où était passé son ambition, ses désirs de fonder une famille et d’être heureuse ? La solitude l’avait engloutie et à présent elle n’était plus de prime jeunesse. Pourrait-elle encore construire quelque chose un jour avec un autre chat ? Avoir la vie dont elle rêvait, enfant ? Elle chassa rapidement ces idées de son esprit. Ce n’était pas le moment.

- Salut, petit. Comment tu t’appelles ?

Elle n’avait rien trouvé de mieux, de plus percutant. Rien qui puisse exprimer un tant soit peu ce qu’elle ressentait actuellement, ce mélange de désarroi, d’intérêt et de curiosité à l’égard de l’enfant. Peut-être qu’elle pourrait mieux s’exprimer par la suite, mais malheureusement, quelque chose de dur transparaissait dans l’attitude du chaton tigré et elle sentait bien que son entrée en matière était totalement ratée.