Les rivages noirs. - Nuage de Vérité

Tu cours dans l’horreur. Tu la subis mais tu préserves ton allure. Tu en as vu, des pleurs, des vies brisées, des cous rompus par l’injustice.. Ils ont bâillonné ton insouciance, ils t’ont infligé la réalité, mais tu restes droit, fier, militaire. Un véritable chien.

Cette année, la chaleur tardait à venir. Éclat de Flamme fut réveillé par la pluie qui s’abattait sur les terres claniques. Ses prunelles d’émeraude se plissèrent à la vue d’un ciel si pâle que les nuages s‘y confondaient.
D’un pas lent, il s’approcha du tas de gibier, le considérant longuement avant de le contourner : rien ne lui donnait réellement envie. Son corps de chat dans la fleur de l’âge, musclé tout en préservant une élégante sveltesse, avait appris à manquer de nourriture, à cause des hivers un peu longuets.
Le félin ne put s’empêcher de sourire en entendant quelques novices frileuses se plaindre de la mauvaise saison, tandis qu’elles n’avaient jamais vu l’été. Il eu envie de leur sortir une plaisanterie mielleuse, mais il s’abstint. De nombreux guerriers le critiquaient pour sa fâcheuse habitude de charmer les demoiselles bien trop jeunes. On le blâmait car il aimait les femelles, les belles, les fraîches. Voir leur candeur encore intacte lui rappelait le temps où il pensait qu’obtenir un monde plus beau serait une tâche facile.
Il se déroba face aux sourires intimidés des minettes, partant du camps harcelé par la pluie, son pelage enflammé le rendant comparable à une petite lanterne un soir brumeux. Il longea les frontières du clan de la Rivière, veillant à trouver quelques distractions pour cette journée où la chasse était impossible. Les poissons nageaient dans une eau opaque et trouble, les rongeurs se planquaient dans leurs terriers de tourbe, et les oiseaux, eux, rôdaient dans des cieux plus beaux.

Le jacassement d’une pie contredit sa pensée. D’un pas chaloupé, il s’approcha de la provenance du son, découvrant un volatile pris dans des ronces. Le rouquin crut avoir une poussée d’altruisme. Une envie de dégager l’oiseau pour le voir prendre son envol avait surgi, vite dépassée par sa conscience de prédateur. Avant même que la pie puisse le remercier de son aide, il lui rompit le cou.
Cette cruauté enfantine ne le fit même pas culpabiliser, la morsure fatale étant devenue une habitude pour le guerrier. Il se contenta de lancer un regard lassé au cadavre, avant de l’attraper par une de ses ailes de jais et de continuer son escapade.
Les frontière des territoires de la Rivière longèrent rapidement celles du clan de l’Ombre. Éclat de Flamme fut tenté de les franchir, pour espionner ces étranges individus ténébreux qui étaient les ennemis de toujours de nos chats nageurs. Il ne résista pas à son caprice, jubilant à l’idée de fouler des terres inconnus. Son pelage incandescent le rendait néanmoins visible dans des lieux aussi sombres..
Comment des chats pouvaient-ils passer leurs misérables vies dans des marécages aux relents horribles et aux teintes aussi fades ? Leur âme s’était simplement adaptée à la laideur de leur environnement, les attristant dès leur plus jeune âge.
Flame se serait plu dans un clan pareil, son cœur mutilé se mariait parfaitement à la mélancolie de ces bois occultes. Cette idée le fit sourire, il était plus proche de ses ennemis que de ses propres frères.
Lejeune mâle s’installa au revers d’une pente, pour se cacher en partie de potentiels passants. Son estomac commençant à lui rappeler ses droits, le guerrier commença à grignoter sa proie, conscient que la pluie effacerait sa venue et ses actes.
Il continua ensuite sa route, suivant les maigres effluves qui restaient. Il tomba en face d’horribles marais frappés tellement fort par la pluie que la boue semblait faire de gros gémissements patauds.
Le mâle soupira, décidant d’y aller franchement. Il marcha sur des bouts de bois blanchâtres aux postillons de boue, délavés par l’infecte humidité des lieux. Le félin fit un vif coup de tête en entendant le croassement rauque d’un amphibien. Bien que ce lieu était plutôt effrayant, il sut garder son sang froid, son regard marqué par son indifférence et une pointe d’amusement.

Soudain, le félin dérapa, tombant dans les sables mouvants qui léchèrent ses flancs. Une novice profita de ce moment pour apparaître, et notre rouquin, pris de panique, s’empressa de lui lancer d’une voix embarrassée :

«  Bonjour mademoiselle, il serait bien aimable à vous de m’aider.. »

Des yeux de rubis, de magnifiques yeux de rubis. On sentait mille courroux en leur intérieur, une fougue adolescente mêlée à de l’exaspération. Flame était gonflé, horriblement gonflé, même, et il en était conscient. Mais il avait trouvé cette brindille noire si jolie qu’il n’avait pu maîtriser ses dires. Elle avait un physique tentateur qui rendrait vicieux le garçon le plus prude, contrastant avec une étrange aura de douceur qui faisait dériver notre charmeur en quête d’exclusivité.

«  Pourquoi je devrais aider un chat ennemi ? De la Rivière en plus. Je devrais te laisser dans ces sables mouvants. Tu oses passer nos frontière et ensuite tu me demandes de l’aide ? T’es bien un membre de la Rivière. »

Il n’était guère offusqué par ses reproches enfantines, se contentant de baisser les yeux en souriant légèrement. La demoiselle, prise de bonté, l’aida. Le rouquin fut reconnaissant, se laissant traîner quelques secondes, avant de forcer sur ses pattes antérieures et ainsi sortir de la tourbe.
Le guerrier au pelage enflammé, ayant à nouveau le contrôle de son corps, se demandant s’il devait maintenant pousser la femelle dans les marécages pour se débarrasser de ce gênant témoin. Il aurait été raisonnable de le faire, mais Éclat de Flamme ne dénicha pas l’envie de tuer ce bout de princesse qui l’avait sauvé. Il décida de respecter son caprice, se promettant néanmoins de l’exécuter sans aucun état d’âme si elle se montrait menaçante… Il rebuta cette pensée qui le gênait fortement. L’idée de faire du mal à ce petit ange noir ne lui plaisait guère.

«  Croyez-moi, je vous suis très reconnaissant. Je n’oublierai pas votre geste et je saurais vous rendre la pareille, lâcha-t-il d’un ton professionnel. »

La guerrier s’adoucit rapidement, pris d’admiration pour la jeunette. Il se montra néanmoins stoïque, ne voulant pas qu’elle le pense malsain ou lubrique. En tant que parfait gentleman, il se devait de rattraper le coup et nettoyer l’offense qu’il avait fait à la demoiselle.
Un oiseau se posa non loin d’eux. Une hirondelle paraissant aussi jeune et fragile que la novice qu’il avait en face de lui. Sans doute avait-elle profité de l’arrêt de la pluie pour aller s’abreuver dans l’eau croupie. Cette vision le rendit heureux, apercevant enfin une trace de l'arrivée du beau temps. Éclat de Flamme continua de regarder le bel oiseau durant une flopée de secondes, avant de pivoter vers la princesse et déclarer d’une voix douce :

« Vous avez amené un bout de printemps avec vous. »