Adieu... [PV Jais]

La vie est cruelle, n’a aucune limite. Toutes les personnes encore vivantes se battent pour survivre. Et pourtant, au fond d’eux, ils n’ont qu’un seul et unique désir. Mourir. Oui. Mourir. Pour être libre. Parce que tant que l’on est forcé de faire quelque chose, nous sommes prisonniers. C’est pour cela que la mort est belle. Que je la respecte. Car il ne faut pas seulement respecter la vie. Il y a aussi la mort. Toujours…

Le ciel était encore rose, parcouru de traînes mauves et oranges. Un oiseau poussa un sifflement. Je fermai les yeux. L’endroit était si paisible… Et pourtant, il n’arrivait pas à chasser l’horrible vision de ma tête. J’avais pensé – espéré plutôt – que le fait de retourner voir mes ancêtres m’apaiserait. Et pourtant, j’étais toujours tourmentée. Davantage même, que tout à l’heure, lorsque je l’ai rencontrée. C’était il y a à peine une heure. Mais elle est toujours là. Toujours…

L’aube ne s’était pas encore levée. Je déambulais une fois de plus dans nos territoires. Le vent soufflait doucement sur mon pelage. Je me sentais bien. Oh bien sûr, je n’avais pas vraiment envie que quelqu’un me croise ici. Je pourrais toujours dire que je suis venue veiller ma mère une nouvelle fois mais je n’aime pas mentir. Par chance, personne ne vint. Du moins, personne de mon Clan.

Car elle, elle était là. Une chatte écaille-de-tortue qui aurait pût être jolie si elle n’avait pas été aussi maigre. Et cela n’était pas seulement dû à la mauvaise saison. Ses côtes saillaient, on voyait parfaitement ses os. Elle avait un air de damné, de ceux qui sont condamnés à ne plus jamais voir le jour. Ses beaux yeux verts étaient éteints. Oui, éteints. Car, je le sentais, autrefois, ils resplendissaient de vie.

Titubant, elle s’approcha de moi, l’air hagard. Elle miaulait faiblement un nom. Je dus tendre l’oreille pour entendre. Nuage de Jais. Elle cherchait son apprentie. Ou peut-être sa fille, vu son âge. Elle n’avait pas d’odeur particulière, juste celle de la mort. C’est peut-être pour cela que j’ai hésité à l’aider. Elle n’en avait sûrement plus pour longtemps. Elle n’avait sans doute pas mangé depuis des jours. Alors pourquoi ne l’ais-je pas aidée ?

Je me pose toujours la question. Le temps que je me retourne vers elle et ouvre la bouche, elle était déjà repartie, de sa marche claudicante. On aurait dit une chatte de gouttière. Je sentis ma gorge se serrer. J’espérais de tout cœur qu’elle retrouve cette Nuage de Jais. Je l’aurais volontiers aidée mais… Elle me faisait peur. J’eus honte de moi. Anxieuse, je la regardais s’éloigner. Devais-je la chasser ?

Je ne sais toujours pas ce que j’aurais dût faire. La chatte envahissait mon esprit. Elle m’obnubilait. Je m’allongeai près de la tombe de ma mère et posai mon museau sur mes pattes. Maman… Guide moi je t’en prie… Dis-moi ce que je dois faire. Si je dois l’aider. Bien sûr, c’aurait été mon premier réflexe en temps normal, tu le sais. Mais là, j’ai vraiment besoin de tes conseils… Je t’en supplie…