Sujet: Tonight's the night - Ciel de Brume Ven 7 Oct - 18:32
« Tonight's the night »
Un bruit, un souffle, une blessure à l'épaule droite. Poker avait peur. Pas peur pour sa vie, non, mais d'avoir mal. Encore plus mal. D'un mouvement de la tête, il regarda en arrière. Il leva son museau et inspira une grande bouffée d'oxygène. Aucun de ses sens, ni olfactif ni visuel, ne captait la trace d'un ennemi. Au bout d'un instant, il relâcha ses muscles, souffla longuement et se laissa tomber sur le lichen qui recouvrait une large souche. D'une langue tremblante, il nettoya la blessure qu'il avait à l'épaule droite, grimaçant de dégout devant le filet de sang qui se plaquait sur son épaule. Vivre dans les bois s'avérait beaucoup plus dangereux que ce que lui, urbanisé jusqu'au bout des moustaches, avait jamais pu imaginer. Bien souvent, il se demandait ce qu'étaient devenus Frère et Sœur. Un chat revenu de la ville qu'il avait interrogé au cours d'une partie lui avait apprit que sa mère était morte en couche en donnant naissance à sa deuxième portée, et que son père, de désespoir, s'était petit à petit laissé dépérir. C'était étrange comme tous ces drames lui furent indifférents. Poker ne s'était jamais intéressé qu'à une seule personne : lui-même. Et si, à un moment, il se fut demandé ce qu'était devenue sa famille, c'était juste pour savoir si il n'était pas plus judicieux pour sa vie d'envisager un retour à la vie de chat des rues. Hélas, apparemment, depuis son départ, les conditions de vie parmi les grattes-ciel s'était incontestablement détériorée. La vie était dure, mais c'était ainsi, et il fallait s'y faire. Un soupir s'échappa de ses crocs, qu'il n'avait pourtant pas déserrés depuis sept ans. Le sang sur son épaule avait commencé à coagulé, c'était déjà ça.
Faisant un réel effort sur lui-même pour oublier ses membres endoloris, Poker se tourna sur le flanc et, d'un oeil distrait, il contempla les alentours. Sa cavalcade suite à une attaque d'un chat de clan l'avait emmené directement sur la Prairie de la Renaissance, où les plantes médicinales abondaient. Poke n'osait pas toucher aux baies rouges et luisantes que lui exposaient les buissons. Il ne s'y connaissait pas vraiment en guérison, son esprit s'adonnait d'avantage à des matières littéraires. Toutefois, pour avoir vu grand nombre de chats se tordre de douleur et mourir sous ses yeux, il savait que certains poisons étaient concentrés dans ces fruits pourpres. L'endroit était vraiment splendide. Ce n'était pas étonnant que les différents clans veuillent se l'approprier. Cette idée même le fit frémir : comment, par quelle nature malsaine, un chat pouvait-il décréter qu'une quelconque merveille de ces bois lui appartenait ? Tous autant qu'ils étaient ne vivaient pas dans ces lieux. Ils n'étaient que des invités, même si depuis des générations ils chassaient sur ces terres. Souvent, en souriant, son ancien maître lui disait que sans l'esprit de possession, les guerres diminueraient de moitié. Il fallait croire que c'était valable pour les chats autant que pour les hommes. Alors qu'il se perdait dans ses pensées, une chose blanchâtre attira son esprit . Prise dans les branches. C'était vraisemblablement une toile d'araignée. Claudiquant, il se leva et partit vers cette tapisserie d'Arachnée, ornant de sa brillance les branches dénudées du buisson. D'un mouvement de patte, il poussa la locataire de la-dite toile vers le sol, ou elle tomba avec légèreté avant de se faufiler sous une feuille d'où elle ne sortit plus. Puis,il enroula le pansement naturel autour de sa patte, et par un tour d'agilité, il parvint tant bien que mal à l’appliquer sur sa plaie. Même si cela n'atténuait pas sa douleur, cela éviterait au moins que le sang se remette à couler. C'était une des rares choses qu'il connaissait des sciences médicinales. D'un air songeur, alors qu'il se recouchait sur sa litière de fortune, le matou scruta le firmament. Il réfléchissait vaguement aux fabulations qu'il allait raconter à sa bande pour paraître plus viril ...
Ils étaient des dizaines. Même, des vingtaines. Autour de moi, en cercle, de la bave à la commissure des lèvres, une lueur de malice au coin des yeux. Le plus fort d'entre eux vous me demandez ? Un grand chat noir aux yeux de fou, avec une cicatrice sur l’œil. Leur démence se lisait sur leurs visages, et leur soif de sang était dans chacun de leurs pas. Comment je m'en suis sorti, hein ? Eh bien, d’un coup de patte bien placé, j'ai pu faire trébucher l'un d'entre eux. Sa chute a provoqué une diversion, le temps qu'il se retournent, j'avais filé. En revanche, dans l'agitation, ma proie est tombée de ma bouche ... Désolé.
Même un gamin de trois mois ne goberait pas ça, mais dans le cas présent, son public était majoritairement constitué de chats dont l'âge mental ne dépassait pas d'une once celui d'un poisson rouge. Ils l'écouteraient, ébahis, eux les gros bras sans cervelle, et le pire, c'est qu'ils aimeraient ça. Parfois, se sentir seul être intelligent dans une bande de brutes le déprimait. Oui, malgré les apparences, Poker était seul. Personne ne comprenait sa soif de savoir, et encore moins son envie de parler de choses importantes. Il était entouré d'ignares, de barbares. La seule chose qui le rapprochait des chats de sa bande c'était son envie de gagner, son amour du jeu, et - ironie du sort ! - sa marginalité. Il avait tellement de fois souhaité ne pas se sentir aussi petit, aussi insignifiant. C'était pour cela aussi que, maintenant qu'il était bien avancé dans l'âge adulte, l'envie de procréer lui tenait le cœur. Il voyait déjà son fils. Quelqu'un qui serait comme lui, qui saurait l'entendre philosopher sur tout et rien, quelqu'un qui porterait ses gènes, sa descendance. Une manière d'être immortel en somme. C'était la seule chose que le félin désirait ab imo pectore. Eh oui, il s'était mis au latin, déchiffrant cette langue à l'aide de tablettes et de manuels oubliés dans les bois par les écoliers perdus. Ab imo pectore, du fond du cœur, des abysses de l'âme ... Sa maxime préféré parmi toutes. Un bruissement dans les ombres l'extirpa de sa rêverie. Craignant une nouvelle confrontation avec des guerriers peu commodes, le chat se leva d'un bond, et scruta les arbres. Bientôt, la silhouette se fit entrapercevoir. Fine. Rapide. Comme un fantôme. Poker se redressa sur ses pattes et s'élança . C'était insensé de poursuivre ainsi un semblant d'assassin, mais le chat était bâti de cette manière : incohérent. Plus il rattrapait le félin ennemi, plus l'odeur s'affermissait. C'était un mâle - dommage - un mâle de clan. Il ne savait pas duquel cependant. Une idée sournoise s'imiscait doucement dans son esprit, et déjà, sur sa bouche, le félin sentait le parfum de la vengeance. La course poursuite sembla durer une éternité. Enfin, arrivé dans le Paradis Floral, l'ennemi lui faisait face. Œil pour œil, ils se regardaient mutuellement, le corps saisi d'une même animosité. Un sourire se dépeignit sur le visage du philosophe, alors qu'il s'asseyait, la queue enroulée entre les pattes. D'un signe de la tête il montra le boîtier noir qui pendait à son collier. Sa question sortie d'elle même.
« Une partie de cartes, étranger ? »
Le défi était lancé.
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