Une rencontre assez spécial avec un chat… [Cœur de Nuit]

Pure souffrance. C’était insupportable. Cette pauvre chatonne souffrait, bien plus qu’aucun autre félin, qui n’avait pas vécu exactement la même chose au moins une fois dans sa vie, n’aurait pu l’imaginer. Comment est-ce que le monde pouvait tourmenter autant une aussi jeune et innocente petite fille ? C’était franchement invraisemblable. Il fallait vraiment manquer d’un cœur pour pouvoir rester là, à regarder la scène. Pourtant, c’est ce qu’un jeune matou au pelage orange faisait. Il regardait de ses yeux marron abyssaux la douleur profonde que ressentait cet ectoplasme. C’était le fantôme d’une jeune chatte, qui n’avait pas plus de son âge, voir moins. Elle pleurait de tout son saoul, regardant les autres chatons de la pouponnière jouer comme si de rien n’était. Elle aussi était perdue dans ses pensées, tout comme lui. Elle se saoulait de ses larmes, comme du pur venin sortant de ses paupières mi-closes, fatiguées mais refusant de lâcher, sachant très bien que la fin s’en suivrait. Elle regrettait de tout son être d’être morte ce jour-la. Pourquoi elle ? Pourquoi était-ce elle qui avait du rendre l’âme ? Pourquoi pas un autre ? Tant de questions comme ceux-là se bousculaient dans sa tête. Elle avait encore beaucoup de mal a digérer le fait qu’elle n’était plus de ce monde, et que plus jamais elle ne pourrait parler en tête a tête avec ses frères, ses sœurs, sa famille.

- Pourquoi tu ne fais rien, idiote ?

C’était la dure voix du jeune chaton couleur d’orange. Il ne comprenait pas. Il ne comprenait pas comment cette chatte pouvait rester planté la, a regarder de ces yeux si pitoyables la vie qu’elle avait raté. Pourquoi ne partait-elle pas au paradis ? Ne trouverait-elle pas ainsi le bonheur ? Ses yeux pleins de larmes se tournèrent vers lui ;

- Tu… tu me vois ? En se rendant compte de cette vérité, elle ne put s’empêcher de sourire, tandis que les autres chats de la pouponnière ne prêtaient même pas attention au fait qu’un des leurs parlaient a un fantôme. Je… je… Elle peinait a trouver ses mots, trop heureuse de savoir que le jeunot en face d’elle pouvait lui parler, l’écouter… Je…
- Tu ? Tu sais, il existe une façon de communiquer, c’est de parler. Pas étonnant que tu es morte, si tu n’arrivais même pas à crier à l’aide… Franchement, qu’est ce que tu veux que je fasse pour toi, si tu ne veux rien me demander ?

La pauvre petite ne répliqua pas, trop confuse pour faire ressortir le moindre son de sa gueule béante. Apparemment, elle n’arrivait pas à voir si elle était heureuse ou pas. Elle cligna deux fois des yeux, encore sous le choc de voir quelqu’un qui puisse lui parler et l’entendre, puis se résigna enfin à proférer quelques mots ;

- Tu ne peux pas savoir comme je suis soulagée de savoir que tu puisses me voir… Depuis… que ca m’est arrivée, je me sens si seule…

Elle s’approcha alors de lui pour humer son odeur. Il n’aimait pas trop ce signe respectif qu’elle semblait aimer faire, mais par pitié de cette pauvre âme, il ne la repoussa pas. Elle se retira enfin, et pénétra ses yeux couleur d’ambre dans ceux marron du rouquin. Une larme coula alors de ses yeux. Le jeunot sursauta ; cette petite perle tombant des paupières jaunes de cette jeune féline n’était pas tout à fait comme les autres. Comme si elle signifiait quelque chose de particulier. Il remarqua alors que la fourrure de l’ectoplasme, qui auparavant avait été d’un blanc pareil à un guerrier fantôme, devenait peu a peu beaucoup plus transparente. Elle souriait. Même avec cette fichu larme qui coulait de son sang, de sa peine. Elle semblait heureuse. Non, paisible plutôt. Elle pouvait enfin trouver la paix éternelle. Enfin elle pourrait quitter ce monde horrible et sans scrupules. La joie n’était pas la, mais on ressentait sans mal une sorte de bonheur infime. Elle disparut en quelques temps, laissant derrière elle qu’un simple souffle ;

- C’est grâce à toi… Merci.

Quand le jeune chat orangé reprit ses esprits, regardant les restes du « corps » de la belle s’envoler tels des poussières, il vit devant lui quelques yeux surpris. C’étaient les autres chatons, qui étaient en train de jouer la dernière fois qu’il les avait regardés. A présent, ils devaient le prendre pour un fou, a parler dans le vide. Ca, c’est balaud. D’habitude, Ichigo n’aimait pas qu’on se foute de sa gueule. Il avait une sorte de réputation qui faisait de lui un combattant connu à la pouponnière. Pas une racaille, mais quelqu’un à éviter si on ne veut pas s’en prendre plein la figure. On le surnomme parfois même un chaton sans amis. Ce qui n’est pas totalement faux, mais pas complètement juste non plus. Remarque, que ce soit vrai ou faux, si vous le dites devant lui, vous seriez sur de vous prendre quelques coups. Alors faites gaffe.
Ces jeunes, ils savaient assez bien ces faits. Ils observèrent pendant un moment, surpris mais curieux, le chat a la couleur étrange ou inhabituelle, puis détournèrent les yeux, se remettant alors a leurs jeux. Patte Exaltante soupira ; que leur dire ? Depuis longtemps, on le croyait un peu fou-fou à cause de sa croyance dans le fait qu’il pouvait voir les morts. A présent, essayer de leur expliquer ne servait a rien. Personne ne le comprenait.

Il baissa les yeux, puis quitta à pas trainants la pouponnière. Cette jeune chatte était partie aux pays des esprits. Elle avait de la chance tiens. Lui, il était obligé d’habiter ce monde injuste et affreux par moments. Personne ici ne le comprenait. Son père, un drogué comme on dirait, s’en fichait un peu, qu’il voie les morts ou non. Ses deux sœurs, il ne saurait vivre sans. Heureusement qu’elles étaient la d’ailleurs, ou il ne saurait sans doute plus vivre. Depuis qu’il voyait ce qui arrivait après la fin, il se fichait pas mal de savoir s’il allait vivre longtemps ou non. Apres tout, quelques uns souffraient moins de leur défunt que de leur vivant. Au pire, il n’allait pas partir tant qu’il n’aurait pas vu ses deux petites sœurettes grandir et murir. Et c’était pas gagné.

Perdu sans ses pensées, il arriva donc dans le Champ de Blé. Franchement, je ne vais pas vous décrire l’endroit, alors qu’il porte un non pareil. C’est un champ de blé quoi. Faut pas chercher plus loin. Il regarda le champ s’étendre a parte de vue, les yeux dans le vague. Ce semblant d’océan d’avoine était si paisible… La au moins, pour s’étendait réfléchir. Il ferma les yeux pour pouvoir mieux gouter a cette fraiche brise qui lui venait droit sur la face, lorsqu’il sentir une odeur. C’était celui d’un autre membre de son Clan, heureusement. Il ouvrit les yeux à nouveau, puis entendit une voix féminine interpeler une autre quelconque âme ;

- Qui est la ? Vous pouvez sortir de votre cachette, je sais qu’il y a quelqu’un !

Cachette ? Pff. Non mais n’importe quoi. Pourquoi il se cacherait d’elle ? Apparemment, c’était une jeune chatte, a peu près de l’âge d’apprentie. Il fit quelques pas en avant vers elle, puis arrivé au point ou il put la voir de face, il s’arrêta, puis la jugea. Son pelage blanc était ravissant, il ne pouvait contredire ce fait. Cependant, il savait déjà qu’il n’allait pas s’entendre avec elle. Quelque chose en lui le lui soufflait, tout au fond de son être… Mais elle lui avait posé une question. La politesse voulait qu’il lui réponde ;

- J’m’appelle Ichigo, dit-il d’un ton arrogant. Et toi, t’es qui ?

Il la regarda ouvrir les yeux avec curiosité. Déjà, il savait qu’elle allait être différente des autres apprentis qu’il rencontrait souvent. D’habitude, le scenario était court ; ils se foutaient de sa gueule, il les répondait un truc méchant, puis ils partaient la queue basse, quand même grognons. La vie est simple quand on veut, n’est ce pas ? Dommage que parfois, les chats sont différents. Ce serait peut-être moins marrant si les êtres n’étaient que de vulgaires clones, mais au même temps tellement plus facile… Se casser la tête à essayer de comprendre. Quelle idée.

- Salut Ichigo ! lança alors la chatte blanchâtre. Moi, c'est Nuage de la Source. Ce n'est pas toi qui vois et entend les esprits ? Ça doit être trop classe !

Le rouquin hésita pendant quelques secondes. Soit cette fille était complètement folle, soit elle… était différente des autres. Si elle ne paraissait pas aussi puérile et stupide, il l’aurait presque pris pour une féline intelligente et compréhensible, quelqu’un avec qui on aimerait bien s’entendre. Mais son allure était tout contre. Elle avait cette façon de se tenir… le sentiment qui dégageait d’elle, celui de la liberté, celui de la rébellion, celui d’une femme qui refusait de se soumettre, d’obéir aux autres. Tout ca, il l’admirait chez les chats. Un bon guerrier doit savoir dire non et se faire entendre. Cependant, il n’aimait pas trop le fait qu’elle se croie tout permis. D’ailleurs, le fait qu’il puisse déjà deviner tout cela sur elle rien qu’en regardant dans ses prunelles claires qui restaient sans arrêt fixés sur lui montrait le fait qu’il était plus mature qu’elle. Alors qu’elle avait sans doute plus du double de son âge.
C’est alors qu’elle rajouta ;
- Tu peux me croire, je suis sérieuse ! Je sais qu'on se moque souvent de toi, et qu'on te croit fou, mais moi je trouve que c'est super ! Tu as un vrai don !

Franchement, il ne savait que faire. La croire revenait à avaler comme un idiot tout ce qu’elle lui disait, et ensuite de risquer de se faire trahir ou moquer. Ca, il ne le supporterait pas, et l’attaquerait sans doute. Il le savait. Mais de l’autre côté, ne pas la croire revenait à dire qu’elle n’était qu’une sale menteuse qui ne pensait qu’a se foutre du monde qui l’entoure. Ce que Patte Exaltante ne savait pas a ce moment-la, c’est que la personnalité de la deuxième option convenait parfaitement a cette jeune chatonne. Dommage, il aurait peut-être pu faire un meilleur choix s’il le savait.
Il prit la décision de la croire. Pourquoi ? Parce qu’il n’avait pas grand-chose à y perdre. S’il la traitait de menteuse, c’était le combat assuré. La flemme de se battre. Par contre, s’il tombait dans son jeu, même ennuyé, cela montrait bien qu’il ne cherchait pas la bagarre. Au pire, il n’avait qu’à faire comme d’habitude ; prétendre qu’il s’en foutait royalement. Pour une fois qu’une meuf’ avait attiré son attention, il n’avait qu’a faire comme si de rien n’était.

- Ouais, on se moque souvent de moi en effet, dit-il d’un air désintéressé. J’aime ton nom. Ca me rappelle la fois ou ma sœur est tombée dans l’eau. Elle est ressortie de cette petite source toute trempée et sale. C’était horrible.

Un sourire mesquin se dessina sur son visage. La jeunette d’en face l’avait elle aussi comprit ; il avait dit tout cela rien que pour lui montrer qu’il se fichait bien de savoir ce qu’elle pensait de son don, il ne l’aimait pas. Elle n’était tout de même pas bête au point de ne pas se rendre compte qu’en disant que sa sœur était sortie de la source toute sale, il affirmait que le nom de la blafarde l’était aussi, donc son possesseur. Il avait déjà hâte de voir sa réaction, car dans ses yeux il voyait déjà briller une flamme assoiffée de sang, mortelle… et surtout déterminée.